« En même temps » : derrière la formule, une ligne politique ambiguë

Maxime Lherbat
4 min readMar 24, 2020

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Source : alternatywa.net.pl

Emmanuel Macron en a fait sa marque de fabrique. Ses ministres l’ont suivi. Le « en même temps » du gouvernement ne séduit plus : il affadit tout discours.

Elle affirme avoir quitté le gouvernement tout en sachant « que la vague du tsunami (liée à l’épidémie de Covid-19, ndlr) était devant nous », et certifie avoir prévenu le Premier ministre « que les élections [municipales] ne pourraient sans doute pas se tenir ». Agnès Buzyn savait donc que le coronavirus allait arriver en France. C’est pour cela qu’elle a décidé, en tant que ministre des Solidarités et de la Santé, de quitter le ministère qui lui avait été confié. Elle était persuadée que le premier tour des municipales ne pouvait qu’être reporté. C’est ainsi que l’hématologue de profession s’est aussitôt vêtue du costume de candidate à la mairie de Paris, à seulement un mois du scrutin. Paradoxal ? Incohérent ? Détrompez-vous, car il s’agit là d’une spécificité du gouvernement. C’est ce que l’on appelle le « en même temps ». Une ligne de conduite mal définie de prime à bord dans laquelle le bateau gouvernemental navigue à vue. Où les ministres sont tous engagés « sur la même barque, promis au même naufrage », et faute de quoi, il pourrait n’y rester « aucun survivant » si le parti présidentiel était battu en 2022.

Il y a trois ans pourtant, la fougue et la jeunesse de l’actuel chef de l’État avait conquis quelque 20,7 millions de Français qui avaient voté pour lui, ou contre Marine Le Pen. Son « ni gauche, ni droite » séduisait. Sa dynamique « En Marche ! » allait possiblement tourner la page à une alternance socialiste-droitiste qui n’offrait plus aucune perspective d’avenir, et dont le peuple français n’avait plus aucune confiance. Ce nouveau monde entrouvrait une lueur d’espoir et un brin de lumière au milieu d’une classe politique en manque de charisme.

Hélas, les beaux rêves d’un soir se sont très rapidement transformés en cauchemars de plusieurs semaines, plusieurs mois même. L’image d’Emmanuel Macron, qui était celle d’un homme politique nouveau, jeune, audacieux et conquérant a laissé place à celui d’un chef d’État novice et amateur, à la formule maladroite (les fainéants, les cyniques, les gens qui ne sont rien ou encore les Gaulois réfractaires au changement) et à la communication fébrile. Son ambition réformatrice a provoqué des vagues de manifestations et de contestations sans précédents. D’abord avec la crise des Gilets Jaunes, qui a vu Paris prise d’assaut chaque samedi pendant près d’un an. Les revendications du mouvement ont dû pousser Emmanuel Macron à organiser un Grand Débat National, dont on retiendra en grande partie ses longs discours devant les élus plutôt que les propositions concrètes qui ont pu y sortir. Puis s’est enchaînée la grève massive dans les transports en commun, les cheminots de la SNCF et de la RATP s’opposant formellement au projet de loi de la réforme des retraites. On en aurait presque oublié l’affaire Benalla et les multiples départs du gouvernement, symbole d’une politique instable : François Bayrou, Gérard Colomb, François de Rugy ou encore et surtout Nicolas Hulot.

Seulement voilà. Cette belle promesse que représentait « La République En Marche » est en réalité une vaste tartufferie idéologique qui se cache derrière une expression caractéristique de la politique du président et de ses ministres : le fameux « en même temps ». Aussi flou qu’illisible, aussi imprécis qu’indéfinissable. Face à cette ambivalence, Emmanuel Macron apparaît alors comme quelqu’un de constamment indécis.

Cette crise du Covid–19 en est, une fois de plus, une parfaite illustration. Emmanuel Macron martèle « nous sommes en guerre », répété à six reprises lors de son allocution télévisée, et en même temps il incite les entreprises à poursuivre ou reprendre leurs activités et exhorte les salariés à aller travailler. Des contradictions qui sèment le doute chez les Français. Comment peut-on demander le confinement de la population, expliquer qu’il faut favoriser la télémédecine pour ne pas risquer de contaminer les personnels soignants, et en même temps demander à ce que « tout le monde » soit « sur le pont » comme l’a réclamé la ministre du Travail, Muriel Penicaud ? Comment peut-on reconnaître une pénurie évidente de masques et gels hydroalcooliques, et en même temps réclamer aux salariés de « continuer de produire et de faire tourner le pays », comme l’affirme Édouard Philippe ?

Le « en même temps » qui a été et qui est toujours considéré par beaucoup comme la ligne politique d’Emmanuel Macron se révèle être ni plus ni moins qu’une expression vide de sens. Ce qui lui a permis d’être élu en 2017 pourrait finalement le nuire en 2022. Cette « pensée complexe » reflète avant tout son incapacité à trancher. Dire tout et son contraire ne peut et ne pourra aboutir à rien de concret. « Gouverner, c’est ne pas plaire » disait François Mitterrand…

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Maxime Lherbat
Maxime Lherbat

Written by Maxime Lherbat

22 ans. Étudiant en MBA DMB à l’EFAP. Journaliste en alternance au JDD. Diplômé en journalisme de l’EFJ et de l’ESJ Paris.

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